L’équilibre des droits et des responsabilités
M à jour : août 2025
J’ai vécu une expérience associative réussie (développement innovant des activités, climat serein, satisfaction des personnes formées, embauche de salariés…) dans un groupe humain dans lequel nous étions tous d’accord sur l’idée de l’équilibre des droits et des devoirs.
(j’enjolive un peu, mais pas trop).
Il n’y avait pas de règle établie pour départager les rapports de force, puisqu’il n’y avait pas de rapport de force. Du moins, il n’y avait pas de situation générant une contestation chronique, ni une paralysie pour cause de désaccords. D’où un développement serein et puissant de l’association.
Il y avait un accord de base tant sur le fond de l’action à mener, que sur le respect du travail accompli par chacun.e, et cela facilitait des décisions par consensus.
Exit le recours à un conseil d’administration, lieu de prédilection des adeptes du « je ne fais rien mais je décide ». Ou plus exactement, nous avions un Conseil d’administration de façade, car pour travailler avec les institutions régaliennes, il fallait afficher une hiérarchie normative.
Mais alors, qui décidait vraiment de la marche à suivre ?
Nous étions d’accord sur l’idée, lors des réunions, de laisser un temps très approximativement proportionnel à la quantité de travail fourni par chacun.e.
Je ne parle pas des heures de travail faites -qui sont intenses ou creuses-, mais de l’implication (subjective) dans le travail accompli.
Le concept de mérite semble sous-jacent dans cette organisation tacite.
Mais ce n’est pas le mérite qui était en jeux ; ce n’est pas lui qui nous a aidé à nous développer. C’était la confiance : parce qu’une personne parlait de ce qu’elle connaissait vraiment, cela se ressentait et inspirait confiance (contrairement à des technocrates qui ont étudié des théories et dont chaque mot inspire la crainte chez les créatifs, ou l’admiration des intellectuels abstraits).
Le mérite, lui, est généralement toujours un piège.
Je vais notamment exposer, en dernière partie, en quoi l’illusion de mérite vient contribuer à la pollution planétaire. Restons pour le moment sur l’analyse de cette expérience de vie associative.
Peu importe qu’on était un sex appeal sur pattes ou l’inverse : on parlait en fonction de l’expérience concrète sur le terrain, pas en fonction d’un statut ni de l’adoration d’une personnalité. (ou bien il se peut qu’à l’époque, je n’étais pas déjà conscient des biais décisionnels liés au charisme).
En cas de désaccord sur une stratégie à mettre en œuvre, nous veillions à privilégier la faisabilité en fonction des volontaires à la réalisation.
Autrement dit, la pensée était corrélée aux actes, et les actes étaient motivés par l’envie d’agir (et non pas par une grille horaire à tenir, ni une théorie « il faut »).
Tout cela se vivait, sans pour autant avoir édicté une règle formelle. On restait sur des accords tacites, fondés sur la bienveillance, et l’attention à l’autre (ayant conduit à une confiance éclairée).
Cela a duré une dizaine d’années. Ensuite, à force que le groupe se renouvelle, perdant l’entièreté de sa cohésion, transmettant trop peu ses valeurs socles et adoptant celles en vigueur dans la société :
nous avons dérivé vers le fonctionnement d’une association sans personnalité, qui croit que le formalisme la protège de je ne sais quoi, et qui amène chacun à se conduire par devoir, sans plaisir, et en tuant peu à peu la créativité collective.
On est passés de « on fait la compta par nécessité mais on sait que ce n’est qu’une dépense de temps stérile, seulement nécessaire dans une société comptable » à « oh que la compta est importante pour mesurer notre action ».
c’est à dire qu’on a peu à peu perdu une fraîcheur du regard, et de plus en plus confondu la technocratie et la vie.
J’ai appris bien des choses de cette dégringolade. j’en parlerai peut-être dans un autre article, sur l’art de mal vieillir (lol).
Je retire des débuts de l’association qu’un groupe fonctionne si chacun.e donne et reçoit équitablement et librement.
Cet équilibre a pour conséquence que chaque personne s’intègre avec bonheur, car fournit une quantité de travail adaptée à ses capacités du moment, et que ce travail reçoit une reconnaissance perçue comme juste.
Une autre conséquence est que les personnes émettent des propositions censées, des lors qu’ils parlent de ce qu’ils connaissent (contrairement aux systèmes où l’on #vote sur ce qu’on ne connaît que par procuration médiatique, ou contrairement aux gens sur les réseaux sociaux qui ont un avis sur tout et n’importe quoi).
Les membres d’un groupe qui s’adapte à leur créativité et à leurs besoins, se sentent moins lésés, moins utilisés en vain, que dans une organisation qui fixe des droits arbitraires dans lesquels peu importe ce que l’on fasse vraiment, on a un statut légal établit par d’autres, pour d’autres.
Parmi les usages normatifs, il y a la fameuse idée :
« une personne = une voix ».
Elle est une formule égalitaire, mais pas nécessairement équitable.
Elle est un usage, voire une loi, présenté comme un progrès démocratique.
Mais en France, je n’ai vu aucun endroit -notamment pas lors des élections politiciennes- où cela conduise à l’harmonie d’un groupe, ou du pays.
A contrario, j’ai vu, en Catalunya, des groupes créatifs et entreprenants, qui avaient adopté le système « une personne = une voix ». Mais le secret de leur fonctionnement réussi ne résidait pas dans cette formule.
Leur cohésion semblait plutôt provenir :
° de la longue expérience de collectifs,
° du temps consacré à s’exprimer et à s’écouter,
° de la recherche de consensus,
° des motivations profondes portées à la conscience,
° de l’humilité amenant les participant.e.s à s’abstenir de parler (a fortiori de prétendre avoir raison) là où ils ne comprenaient pas vraiment les enjeux, donc de prendre le temps d’écouter et de comprendre.
Malgré la formule égalitaire « 1pers = 1voix », en réalité c’est l’équité qui régissait leurs décisions, grâce à leurs attitudes personnelles (les membres n’utilisaient leur droit de vote que s’ils se sentaient légitime sur un dossier sur lequel ils s’étaient suffisamment impliqués et renseignés).
Lorsqu’on donne une voix à tous, mais que le débat est confisqué par des médias véreux, ou que le temps manque à certains membres pour s’impliquer autant qu’ils le voudraient, ou qu’il n’y a en présence que des egos incapables de penser humblement le « nous », j’assiste plutôt à des parodies de démocraties, teintées de l’orgueil de se croire en démocratie.
C’est pourquoi, dans une société où l’on ne prend pas le temps d’écouter les messages profonds que peut apporter l’Autre, la formule « 1 personne = 1 voix » semble ne fonctionner que pour les collectifs résidentiels : les gens qui habitent sur un endroit sont généralement impliqués dans cet endroit.
Concernant les projets proactifs, d’autres formes de pondération de voix sont elles à envisager ?
J’ai observé des groupes ayant réalisé des pondérations votatives en vue d’équilibrer des rapports de force.
Par exemple : collège des bénévoles 1/3 des voix,
collège des prestataires de services 1/3,
collège des apporteurs de capitaux 1/3.
Mais ces groupes ne jouissaient pas d’une ambiance apaisée.
La règle était supposée maîtriser leurs ambitions divergentes, mais l’harmonie ne se résume pas à un simple rapport de forces.
Je ne crois donc pas, jusqu’à preuve du contraire, qu’une règle puisse créer la paix et l’harmonie. (A fortiori pas le tout répressif, prison à gogo, etc.).
Il me semble qu’il y a besoin de temporalités favorables à la rencontre véritable entre nous. (et des règles de base peuvent alors suffire). Pas des temps pour ne raconter que des successions de faits ennuyeux, mais des temps où l’on peut aussi exprimer des valeurs, désirs, besoins, sans être jugés d’entrée de jeux.
Je m’interroge aussi sur la raison de certains regroupements :
si on n’a pas les mêmes intentions, pourquoi faire un projet commun ?
Et au niveau national, comme on est obligés de cohabiter sur un même territoire, comment se raconter, s’écouter, coconstruire quelque chose ?
Je ne crois pas qu’un droit de vote des lois par le peuple représentera une quelconque avancée, tant qu’on ne saura pas s’écouter les uns les autres avec considération et sur des thèmes profonds.
Le charisme est un piège dans lequel on peut tous tomber. Concernant l’élection d’une président.e ou d’une. député.e, les conséquences peuvent être rudes. Mais plus localement, dans une association, l’exemple couramment rencontré est celui-ci :
lors d’une AG (un cotisant = 1 voix), des membres élisent quelqu’un juste parce qu’iel a bien parlé, ou a de beaux yeux… Voix donnée sans la moindre information vérifiée quant à la capacité de cette personne à co-diriger l’association avec intégrité, disponibilité, et compétence, ou a minima avec la volonté d’apprendre à devenir compétente et de se rendre disponible.
Je trouve que la vie associative est un bon entraînement à la vie citoyenne : les enjeux sont réduits mais les mécanismes similaires d’avec le théâtre électoral national.
Penchons-nous au préalable sur la notion de déchet (de la civilisation industrielle), avant de revenir au concept de paiement, et de l’illusion d’équilibre des droits et des devoirs qui en découle.
La notion de déchets : dans la nature, il n’y a pas vraiment de déchets : les feuilles mortes, les cadavres ou les excréments, sont une nourriture pour d’autres êtres vivants.
Les déchets apparaissent avec la création de produits manufacturés ou industriels. Par exemple, les terres durablement acidifiées ou engorgées de métaux lourds toxiques.
Ou encore, le recouvrement du sol par du bitume, transforme en simili déchet des feuilles (pourtant biodégradables dans la terre).
A partir du moment où des déchets existent, il est logique de songer à les recycler. Mais il serait encore plus intelligent de ne plus en produire.
Par exemple, on entend dire que le verre se recycle à l’infini ; oui mais avec quel apport en énergie (pour le refondre) ? Il serait plus écologique de réutiliser certains emballages, en les protégeant de la casse, que de les recycler.
Le paiement d’un produit au prix convenu, et des taxes environnementales, constituent, en apparence seulement, un équilibre des droits (le produit acheté) et des devoirs (le paiement).
C’est là où le malin mérite s’immisce : « j’ai payé donc je mérite de consommer ».
Non ! ça c’est du fantasme. Explications :
Vis‑à‑vis de la planète Terre qui nous accueille, un paiement entre humains, n’équilibre pas notre rapport à l’environnement naturel.
Par exemple : les automobilistes paient leur voiture, son entretien, le combustible, les péages, et les taxes inhérentes à tous ces produits et services.
Cela leur donne un sentiment d’avoir pleinement payé leur contribution, donc d’avoir la légitimité de rouler comme bon leur semble.
Ce n’est qu’une vue de l’esprit (bien qu’elle soit répandue), car la pollution n’est pas effacée par le paiement de ces nombreuses charges.
NB. La voiture n’est pas le seul bien contemporain polluant (et dont le paiement donne l’illusion de nous être bien comporté). Il en va de même avec quasiment tous les produits couramment à disposition, emballés, transportés, et acheminés).
La légalité vient hélas trop souvent brouiller le discernement : il est facile de se dire « si j’ai légalement acheté ceci (par exemple un appareil électronique bon à jeter au bout de deux ans), c’est autorisé » (exit l’impact environnemental et le devoir moral de boycotter ce genre de produits).
Un autre exemple : le fait d’avoir inventé les toilettes à eau, et de payer la facture d’assainissement, n’est pas un équilibre des droits et des #devoirs au regard des cycles naturels, car les toilettes à eau sont problématiques :
*privation de matière fertilisante des sols et conduction de micro organismes terrestres en milieu aquatique dans le cas de retraitement ;
*traitement inutiles de potabilisation de l’eau de la chasse, sauf quand la chasse n’utilise que de l’eau de récupération.
Si, de surcroît, le combustible ou la voiture, ou l’objet électronique, ou le vêtement… est produit dans un pays quasi esclavagiste, le paiement (aux maîtres) n’est en rien juste envers les « travailleurs » exploités.
L’illusion de justice, dans le sentiment associé au paiement, est l’une des causes du déni de nos pollutions et de nos maltraitances.
Vouloir chiffrer ce qui nous arrange (la production), et nier la valeur du reste (l’environnement), est un concept bancal : on n’a ainsi compté que ce qu’il nous arrangeait de prendre en compte pour le business.
Mais vouloir tout chiffrer n’est pas davantage réjouissant : c’est une vue de l’orgueil, se croyant capable d’asservir la vie à un système comptable.
Lorsque les acteurs économiques attribuent une valeur à une vie humaine, ou à l’environnement, iels se sentent légitimes à détruire à la hauteur de ce qu’ils peuvent payer en réparations.
Mais un transfert d’argent, ou une amende, ne répare pas la planète, ni ne ressuscite quiconque.
Inconvénient supplémentaire : on reste empêtrés dans des logiques de comptabilisation permanente.
- Inconsciemment, serions-nous fâchés d’être mortels, parfois avec le sentiment de morts prématurées (à cause de maladies ou d’accidents) ?
Peut‑être y a‑t-il une idéologie collective inconsciente visant à détruire la nature, en tant que mère des micro‑organismes pathogènes, en tant que mère de notre corps mortel ?
Est-ce là la réalité du monde vivant, ou celle que l’on a apprise ?
- Avons-nous besoin d’abandonner un désir inconscient de vengeance par rapport à la Terre ? Derrière le concept de vengeance se cache encore l’illusion de #mérite.
Nous acceptons parfois de croire que pour obtenir l’amour des parents, il nous faut manger notre soupe ;
ou que pour aller au paradis, il faut nous agenouiller tant d’heures par mois ;
ou que pour vivre décemment demain, il nous faut apprendre par cœur ce que dit chaque enseignant aujourd’hui ;
ou que pour pouvoir être aimé, il faut une situation économique dominante…
Mais je préfère considérer que l’amour est partout (on sait le ressentir ou pas). Il n’est pas détenu par les personnes qui s’en prétendent être l’indispensable relais.
Une personne aimante meurt ? C’est naturel d’être triste. mais ce n’est pas obligé de durer : l’amour existe et s’incarne en de multiples formes.
Le concept de #droit et de #responsabilités est à la fois une posture idéologique aidante, et à la fois un concept à délimiter, pour profiter de la liberté, de la spontanéité, et de l’innocence de l’amour.
#démocratie #citoyenneté
